A l’ombre des géants

La 8e journée de la traduction littéraire aura lieu aujourd’hui à la Foire du livre de Bruxelles dès 12h sur la Place de l’Europe (Tours & Taxis) et, à cette occasion, il me vient l’envie de partager avec vous une réflexion sur la visibilité du traducteur et de la traductrice.

Je citerai d’abord Albert Besoussan, ce traducteur hors pair, qui affirme dans son article «  L’ombre du géant« :  Rien n’oppose dans les termes traduction et création mais tout les sépare, oh ! pas un mur, certes, mais simplement la hauteur d’une majuscule qui fait de l’Auteur un géant et du traducteur non pas un nain, ah non ! pas du tout, mais l’ombre du géant.    

Cet immense traducteur a traduit une pléthore de textes d’écrivains espagnols et latino-américains dont, dernièrement, le livre de Carmen Yáñez, publié aux éditions Métaillié et qui sera présenté à la Foire du Livre 2023. Mais surtout, Albert Bensoussan est, depuis 1970, la voix française de Mario Vargas LLosa dont il dit « partager le mental depuis 50 ans ». Sur le sujet, on pourra lire aussi Vargas llosa au miroir de son traducteur

Pourtant Vargas Llosa, dans son discours de réception à l’Académie française, ne mentionne pas le nom de celui qui sans relâche a porté ses textes vers les lecteurs et lectrices francophones.

Depuis des années, bien des associations de traducteurs et traductrices littéraires comme l’ATLF, ATLAS/ CITL, le CEATL, et TraduQtiv désormais, œuvrent afin de donner une visibilité à la traduction littéraire. Depuis une dizaine d’années, Le Festival VO/VF de Gif-sur-Yvette donne la parole aux traducteurs et traductrices. Un autre festival a vu le jour, Voyager d’une langue à l’autre, en 2017 en hommage à Bernard Hoepffner, traducteur trop tôt disparu. Plus près de chez nous, à Lille, le programme D’un pays l’autre fait aussi la part belle à la traduction. Les espaces dédiés à la traduction se multipilient dans les salons du livre, comme à Bruxelles. En Italie, l’immense traductrice Ilide Carmignani a créé la section au AutoreInvisibile au Salone internazionale di Turino 2000.  

Impossible de citer toutes les initiatives ici et là…

Mais surtout, plus officiellement, en 2011,  la « Plateforme européenne pour la traduction littéraire  » destinée à mener une réflexion avec des experts sur différentes problématiques liées à la traduction littéraire se tenait à Bruxelles. Plusieurs collègues qui avaient participé à ce week-end d’étude ont rejoint l’organe d’administration de TraduQtiv. Un rapport a été rédigé à l’issue des travaux.

La même année, le Centre national du Livre publiait un rapport rédigé par Pierre Assouline qui mettait en évidence la condition du traducteur :

Dans cette publication, Pierre Assouline questionne la profession de traducteur et ses impacts sur l’industrie, le commerce, le monde du livre et, plus largement, il s’interroge sur la réalité des échanges culturels à l’échelle nationale, européenne et internationale 

Enfin, un remarquable document intitulé Les traducteurs en couverture. Multilinguisme et traduction : rapport du groupe de travail « Méthode ouverte de coordination » (MOC) composé d’experts des états membres de l’UE est disponible en ligne depuis peu et consacre les pp. 63 -71 à la visibilité du traducteur. 

Dans un monde où la population migre et se métisse de génération en génération, apposer le nom du traducteur ou de la traductrice en couverture permettrait de lever un doute. Dans quelle langue un livre écrit par un auteur dont le nom a des consonances étrangères a-t-il été publié ? Dans la langue maternelle ou la langue d’adoption de son auteur ? A-t-il été traduit ? Illustrons ce propos en évoquant Asli Erdogan, invitée d’honneur de la Foire du livre de Bruxelles 2018, aui écrit en turc et est traduite, alors que Kenan Gôrgün, écrivain belge d’origine turque écrit en français!

Il n’est pas neuf de se battre pour que le nom des traducteurs et traductrices apparaisse visiblement ( idéalement sur la couverture des livres) et certaines maisons d’édition le font déjà. Mais dans ce monde en mutation perpétuelle cela prend prend de l’importance. Plus que jamais . 

Umberto Eco avait dit : La langue de l’Europe, c’est la traduction et pour Barbara Cassin, la traduction, c’est la langue du monde.

Ce sera un plaisir de vous croiser aujourd’hui à la 8e journée de la traduction littéraire de la Foire du livre de Bruxelles ! Espérons qu’elle contribuera aussi à sensibiliser le public aussi bien que les professionnels du livre à l’importance du travail exigé par la traduction littéraire.

Anne Casterman, Présidente

Crédit illustration bandeau: Kikie Crêvecœur