Grâce au soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’ASBL TraduQtiv proposait en février un webinaire en compagnie d’Édith Noublanche, pour la présentation de son étrange et non moins passionnant métier de correctrice-relectrice. Plus d’une soixantaine de personnes ont pu assister à cet atelier, car trois sessions (au lieu des deux initialement prévues) de 22 participants ont été organisées les 9, 11 et 17 février 2021. Voici la suite du compte rendu de ces rencontres.
- Le travail du correcteur
Traditionnellement, on entend parler de correction, révision, relecture, rewriting, remaniement. Ces distinctions ont tendance à disparaître, car beaucoup de postes ont été supprimés par des maisons d’édition tandis que d’autres n’ont pas les moyens pour les financer. Le travail se retrouve globalisé.
Le travail proprement dit a beaucoup évolué avec les années. Les outils informatiques ont progressivement remplacé le travail « papier ».
Avant, les signes de corrections étaient utilisés sur papier. Vous trouverez des exemples sur le site de l’Office québécois de la langue française (banque de dépannage linguistique – signes de correction)
Deux étapes sont généralement toujours d’actualité :
- la préparation de copie (doc. Word)
- la relecture d’épreuves (PDF)
Aujourd’hui, le correcteur reçoit un document Word dans lequel il travaille directement ; il ajoute, supprime, annote, commente. Il ne lit pas le texte avant de le corriger. Il vaut mieux découvrir les choses au fur et à mesure.
Le document retravaillé est soumis à l’éditeur ou à l’auteur, tout dépend de la maison. L’orthographe ne se discute généralement pas. Par contre, d’autres points peuvent faire l’objet de débats parfois animés entre le correcteur et l’auteur. Quoi qu’il en soit, le correcteur suggère, mais ne décide pas.
Le nombre d’interventions d’un correcteur peut être très élevé. À titre d’exemple, environ 1 500 interventions/375 000 signes. Édith Noublanche souligne qu’elle ne propose que des corrections qu’elle juge indispensables. Il ne faut pas trop intervenir. Il faut être capable de justifier par une règle tout ce que l’on propose (le correcteur n’est pas l’auteur). On peut signaler quelque chose à un auteur et lui faire des suggestions, mais c’est lui qui décide.
L’ultime étape : il est temps de relire la maquette pour les dernières corrections et pour une vérification de la mise en pages.
Cette vérification consiste à supprimer les veuves (fin de paragraphe isolée en haut d’une page), les orphelines (la première ligne d’un paragraphe isolée à la fin d’une page), les mauvaises césures (coupure d’un nom propre ou d’un mot avec trait d’union…), les coupures consécutives, et à chasser les dernières erreurs, les oublis.
L’auteur doit ensuite valider les modifications. Une fois les corrections effectuées par le maquettiste, le bon à tirer est prêt à être signé.
- Ça y est, le correcteur-relecteur est passé par là
Le correcteur est un incontournable dans le processus de l’édition, il est avant tout un œil externe professionnel pour un auteur et verra, de son œil expert, ce qui a probablement échappé à tous lors des premières relectures par la famille, les amis et parfois même l’éditeur.
Il est intéressant de noter qu’avec l’habitude, un auteur et un correcteur peuvent en arriver à travailler de concert, et une formation réciproque se crée parfois. C’est l’expérience qu’elle a eue avec Frank Bouysse notamment, dont elle a relu plusieurs romans pour La Manufacture de livres. L’auteur apprend de son correcteur, retient certaines interventions et peut finalement en tenir compte lors de la prochaine rédaction. Et vice versa.
Pour le traducteur, le correcteur représente un parachute. Personne d’autre que les traducteurs et les correcteurs n’entrent autant dans un texte, à part l’auteur. La relecture d’une traduction par un professionnel est très précieuse. Quand le correcteur pointe quelque chose, le traducteur s’apercevra très souvent en allant relire l’original que l’intervention est judicieuse. Quant à l’auteur, il bénéficie de deux lectures extérieures pour un même texte qui abordent celui-ci avec un œil neuf.
- Le correcteur, un atout pour l’éditeur ?
Sans aucun doute ! En faisant appel à ce genre de services, l’éditeur met toutes les chances de son côté. Il offre une plus-value à l’auteur et un résultat de qualité à sa maison d’édition.
La pratique!
La présentation du métier a été suivie de l’exercice pratique de correction-relecture d’un court texte présentant le webinaire. Il s’agissait de corriger cet écrit truffé de fautes très diverses (vocabulaire, syntaxe, ponctuation, majuscule, orthographe, accord, information erronée, etc.)
Les participants ont contribué activement à cette correction. Au fil de la discussion, Édith Noublanche nous a livré quelques principes de la façon dont elle corrige. La confrontation des propositions a permis à chacun (qu’il soit correcteur, réviseur ou traducteur, confronté à la correction de ses traductions) de réfléchir à sa propre pratique.
Voici quelques conseils d’Edith Noublanche :
- Évaluer le type de texte : langage courant, simple. Dans un texte littéraire, on ne corrigera pas de la même façon ce qui est du domaine du discours et des dialogues et de la narration, du récit.
- Cerner ce que l’on attend-on de vous. Selon elle, mieux vaut éviter les corrections stylistiques subjectives. Elle bannit l’idée de préférence.Néanmoins, si elle l’estime nécessaire, elle reprend le mot, elle en donne la définition quand elle considère que c’est vraiment important. Elle opte aussi pour cette stratégie parmi d’autres pour ne pas heurter l’auteur.
- Ne pas commenter en expliquant systématiquement, sauf pour les choses qui vous tiennent à cœur. Il ne faut pas oublier la cadence.
- En règle générale, ne pas remanier la phrase s’il n’y a pas de faute proprement dite, Quand elle estime qu’elle ne peut pas justifier l’intervention de façon catégorique, elle laisse la phrase telle quelle. Elle corrige le moins possible car elle n’est pas l’auteur. En outre, le texte a été choisi par l’éditeur, qui l’a déjà validé de fait dans sa forme actuelle.
- Face à une faute indiscutable comme « suite à », car cette formulation est du ressort du langage administratif et à bannir d’un texte de langage courant, plusieurs solutions :
- Remplacer directement par une proposition
- Surligner et commenter dans la marge en faisant des propositions.
- Virer les anacoluthes, les pléonasmes, les calques…
- L’anacoluthe est une faute très fréquente et demande une vraie vigilance, car la phrase qui en contient une ne veut rien dire alors qu’il n’y a aucune faute d’orthographe.
- Elle indique que dans la première et la seconde proposition les pronoms doivent être identiques.
- Les pléonasmes :
- « nous avons beaucoup échangé entre nous » ; supprimer la partie inutile.
- Les calques.
- « Au final » n’existe pas, le remplacer ou faire des propositions.
- L’anacoluthe est une faute très fréquente et demande une vraie vigilance, car la phrase qui en contient une ne veut rien dire alors qu’il n’y a aucune faute d’orthographe.
- Éviter de rendre un texte complètement « caviardé » du début à la fin, car l’auteur va tiquer et moins bien accueillir les remarques. Selon elle, il vaut mieux garder au maximum ce qui figure dans le texte de départ.
- Parfois deux formes sont acceptées par l’usage. Autant garder celle qu’a choisie l’auteur, même si on préfère une autre formulation. Exemple : répondre présent – répondre présente. On peut dire les deux. Il n’y pas toujours une seule réponse. Quel que soit le choix que vous faites, certains lecteurs estimeront que vous avez laissé une erreur.
- De l’importance du doute : de nombreuses vérifications sont nécessaires, d’autant qu’à force de voir des fautes le correcteur lui-même en vient parfois à douter. Il faut aussi veiller à vérifier les informations, l’orthographe des noms propres, la cohérence d’un enchaînement (un chien écrasé ne peut pas revivre deux chapitres plus loin).
Ces conseils ne sont qu’un reflet partiel de la richesse des échanges qui ont mis en évidence que pour arriver à débusquer toutes les coquilles dans un texte, plusieurs regards attentifs sont parfois nécessaires, mais aussi qu’il y a autant de façons de corriger que de correcteurs, comme il y autant de façons de traduire que de traducteurs.
Le métier de correcteur est peut-être précaire, ingrat, peu voire pas reconnu, frustrant à bien des égards, car la perfection n’existe pas, mais il reste une passion et une source de liberté pour Édith Noublanche qui nous l’a bien démontré.
En trois mots : une rencontre virtuelle passionnante ! (A suivre)
Compte-rendu : Mélanie Saussez et Anne Casterman