Grâce au soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’ASBL TraduQtiv proposait en février un webinaire en compagnie d’Édith Noublanche, pour la présentation de son étrange et non moins passionnant métier de correctrice-relectrice. Plus d’une soixantaine de personnes ont pu assister à cet atelier, car trois sessions (au lieu des deux initialement prévues) de 22 participants ont été organisées les 9, 11 et 17 février 2021.
Nous vous en proposons le compte rendu en deux parties : aujourd’hui, les caractéristiques du métier et lundi prochain des aspects pratiques et techniques.
L’étrange métier de correcteur I
- Édith Noublanche, ou comment on devient correctrice
Germaniste de formation, Édith Noublanche a vécu plusieurs années en Autriche. Là, elle s’est rendu compte qu’elle ne maîtrisait pas le français, sa langue maternelle, de la même façon que l’allemand, cette langue apprise. Quand on l’interrogeait sur sa langue, elle éprouvait parfois des difficultés à expliquer les choses, car la réponse lui venait d’instinct et non après réflexion.
Elle a donc décidé de se pencher sur le français comme sur une langue étrangère. Puis elle s’est passionnée pour la littérature contemporaine et, de retour en France, elle a organisé et animé des rencontres littéraires. Elle a noué des contacts avec des auteurs, certains lui ont confié des relectures, des corrections et, de fil en aiguille, elle a commencé à travailler pour des maisons d’édition.
Son parcours n’est pas forcément atypique, car les itinéraires professionnels des correcteurs, qui n’ont pas nécessairement suivi une formation spécifique, sont bien souvent très sinueux, comme ceux des traducteurs.
Elle est aujourd’hui correctrice-relectrice pour plusieurs maisons d’édition comme la Manufacture de livres et a corrigé les textes d’auteurs belges tels que Thomas Gunzig, Sarah Doke, Paul Colize ou encore Nadine Monfils. Elle est également traductrice.
- Vous avez dit corriger?
Avant toute chose, il est important de revenir sur deux définitions de base : « corriger » et « correcteur ».
Polysémie du verbe « corriger »
Tout d’abord, selon l’approche orthographique, corriger c’est faire disparaître une erreur en rétablissant ce qui est bon, correct. Ensuite, dans le monde de l’imprimerie, l’idée est de « ramener à la règle, relever ce qui est déficient ». Enfin, le verbe « corriger » fait également allusion à l’examen, l’action de lire pour juger et noter.
On le note avec ces quelques définitions : corriger implique plus d’un seul point de vue et des actions diverses. Hélas, la définition selon laquelle « corriger, c’est aussi lire pour juger et noter » renforce l’idée reçue selon laquelle le correcteur est un être rigide, voire psychorigide.
Deux sens pour le mot correcteur
Le correcteur, c’est …
- La personne, qui doit signaler les erreurs survenues lors de la composition d’un texte
- Le logiciel qui aide à la vérification sur traitement de texte.
On constate cette triste réalité : un même mot désigne à la fois une personne et un logiciel. Et il semble que, souvent, l’un soit le concurrent de l’autre. Mais utiliser l’un ou l’autre revient-il au même ? Vaste question ! Pour beaucoup, l’un peut se substituer à l’autre. Pourtant, le logiciel doit être considéré comme une aide à la vérification sur traitement de texte alors que l’être humain doit relever tout ce qui ne va pas dans le texte, signaler l’erreur qui peut être de tout type. L’ampleur de la tâche du correcteur humain est immense, et plus complète que celle du programme informatique. Il s’attache, bien entendu, à corriger l’orthographe d’accord ou d’usage, la grammaire, la syntaxe (structure de phrase), l’orthotypographie (ponctuation, utilisation de majuscules ou minuscules, mise en page, etc.) et bien d’autres aspects de la langue.
Mais, exercice auquel on pense moins, il doit aussi passer le contenu au crible. Même si l’auteur a probablement déjà mené de nombreuses recherches avant d’entamer son récit, le correcteur se doit de vérifier l’exactitude des informations comme les dates historiques, les lieux ou encore les événements. S’assurer par exemple que lorsque l’auteur utilise le mot rivière ou fleuve, il s’agit bien du terme exact. Quant à la cohérence du contenu, il faut la passer au scanner. Le correcteur doit vérifier toutes les occurrences de noms propres, les noms de personnage par exemple, car un même personnage ne peut pas avoir son nom orthographié différemment au fil du texte. Si les volets de la maison du protagoniste sont bleus au début du récit, ils doivent évidemment le rester tout au long de l’histoire ! Une évidence ? Pas tant que ça lorsque l’auteur a le nez dans son écrit depuis si longtemps.
Ainsi, on le voit, le champ d’intervention du correcteur est immense, son attention est partout, et sa concentration doit demeurer maximale de bout en bout.
- Profil du correcteur
La base de métier est un bon niveau de langue, cela va sans dire ! Mais ça ne peut s’arrêter là ! Pour Édith Noublanche, la principale qualité d’un bon correcteur, c’est avant tout de douter, de douter de tout ; de ce qu’il a devant les yeux, mais aussi de ses propres connaissances. Systématiquement il faut fouiller, car on ne peut pas tout connaître. Par ailleurs, on a parfois plusieurs solutions possibles : la correction n’est pas une science exacte.
Les outils de vérification actuels sont divers et variés et sont consultables à tout moment pour affiner une correction. Rien ne peut être laissé au hasard ni reposer sur les seuls acquis du correcteur.
La rigueur et la bonne gestion du temps font également partie intégrante des qualités d’un correcteur. Des délais sont imposés et les respecter est une règle d’or. Le correcteur étant le dernier maillon de la chaîne avant l’imprimeur, tout retard de la part du correcteur est dommageable et aura des conséquences.
Enfin, une bonne culture générale est appréciable, mais n’oublions pas qu’elle s’acquiert au jour le jour, se construit et s’améliore tout au long de sa carrière, à chaque expérience, à chaque correction.
Édith Noublanche le confirme, il a autant de méthodes qu’il n’y a de correcteurs. Deux correcteurs proposent souvent deux résultats différents pour un même texte de départ. Chaque intervenant fait appel à sa propre formation, son expérience, sa sensibilité, mais fera preuve aussi de subjectivité. C’est tout à fait normal.
- Se former?
Quelques écoles « traditionnelles » existent, mais Édith Noublanche n’a pour sa part pas suivi de formation spécifique au métier de correcteur.
On trouve actuellement de nombreuses formations non diplômantes très utiles, mais elles ne sont pas pour autant obligatoires. Le correcteur doit sentir s’il a besoin d’une formation ou non et à quel moment. Il s’agit ici de répondre à un besoin personnel.
D’après son expérience, l’éditeur ne demande pas de diplôme de correcteur ; en revanche, il soumet à un test pour se former une opinion sur la façon dont vous travaillez. Ce n’est pas le diplôme qui est l’élément déclencheur, mais la pratique.
- Un métier fascinant aux champs d’intervention multiples
C’est la presse qui a donné les lettres de noblesse au métier de correcteur. Et l’on doit cela à l’équipe des correcteurs du Monde qui était très active et à qui l’on a donné la parole. Hélas, cette période est aujourd’hui révolue, alors qu’il faudrait un correcteur derrière chaque écrit…
Pourtant, dans le monde de la correction, les débouchés sont multiples.
En voici quelques exemples :
–La presse papier recourt très régulièrement aux services de correcteurs. Certains médias possèdent encore leurs propres équipes de correcteurs attitrés comme pour la presse nationale ou régionale (ex. : les correcteurs du Monde).
–Le web est également pourvoyeur de travail pour les correcteurs, peut-être pas assez quand on lit de près certaines publications digitales !
-Le sous-titrage et surtitrage de films, d’émissions…
-Les petits écrits (nombre réduit de signes ou de lignes) tels que flyers, étiquettes… devraient toujours passer par les mains du correcteur. L’étape cruciale de la correction est malheureusement souvent oubliée. Il arrive encore trop souvent que ce type de publications soit imprimé avec des erreurs alors qu’il demande un effort financier non négligeable pour la société ou le client.
–L’industrie fait également appel au correcteur lors de la rédaction de matériel de communication de l’entreprise comme des catalogues de présentation. C’est important pour son image de marque. À noter que ce domaine relevant souvent du privé, les revenus pour le correcteur peuvent se révéler plus intéressants.
-Le monde de l’édition est bien plus vaste qu’on ne l’imagine. Du manga à la BD en passant par l’essai, le texte scientifique, le beau livre ou encore le roman (traduit ou non), le travail est très différent d’un ouvrage à l’autre et ouvre des perspectives variées pour le correcteur.
- Le statut : salarié (sur site ou à domicile) ou indépendant
D’un point de vue administratif et légal, le correcteur peut devenir salarié auprès d’une seule entreprise et travailler sur site ou à domicile. Mais le statut d’indépendant est de nos jours le plus répandu et les conditions se dégradent. Les prestations sont facturées aux différents clients selon un tarif déterminé à l’avance et sont réalisées généralement au domicile de l’indépendant. L’employeur se libère ainsi de charges sociales et patronales souvent lourdes et n’engage qu’en fonction de l’offre.
Le correcteur quant à lui s’offre plus de liberté. À lui de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
- Correcteur: la poule aux oeufs d’or?
La rémunération d’un correcteur-relecteur varie fortement d’une maison à l’autre et d’un correcteur à l’autre. Elle se calcule au signe ou à l’heure mais le calcul à l’heure est peu utilisé. En effet, le temps passé est souvent supérieur au temps donné. A l’heure, le coût serait prohibitif pour les éditeurs. Certains textes sont parfois plus complexes que d’autres pour un même nombre de signes. La cadence donnée est généralement comprise entre 8 000 et 15 000 signes à l’heure. Le taux moyen très répandu de 15 €/10 000 signes est préconisé dans la plupart des sites qui parlent du métier de correcteur. Or les charges sont élevées. Pour gagner sa vie, il faut beaucoup travailler. Pour Édith Noublanche, ce tarif n’est pas respectueux du correcteur. Dans la pratique, soit le tarif est proposé par la maison — à prendre ou à laisser, mais aussi à négocier —, soit on vous demande votre tarif. L’expérience permet l’augmentation progressive du tarif forfaitaire. Il lui a fallu du temps pour demander le tarif qu’elle demande actuellement.
Il est important de garder à l’esprit que, si le correcteur doit vivre décemment de son travail, l’éditeur doit en avoir pour son argent. (A suivre)
Compte-rendu: Mélanie Saussez
Merci pour ce résumé clair. Je pourrais compléter par d’autres informations sur ce métier que j’exerce en Belgique depuis de nombreuses années. Hâte de lire la deuxième partie !
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Je rejoins complètement Madame Noublanche sur sa vision du métier, qui est difficile mais tellement passionnant! Je n’ai malheureusement pas pu suivre le webinaire, aussi je vous remercie de me permettre d’y accéder via ce compte-rendu.
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Un grand merci à l’ASBL TraduQtiv, et à sa tête Mme Casterman, d’avoir organisé cet excellent webinaire, et à Mme Noublanche d’avoir partagé son expérience, et de nous avoir éclairé.e.s sur ce métier presque méconnu de nos jours mais Oh combien essentiel !
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