Le cas de l’écriture inclusive

Grâce au soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, TraduQtiv a pu inviter Laurence Rosier à venir nous parler de langage inclusif, dans ses dimensions sociales et linguistiques. La rencontre, qui a eu lieu sur Zoom le 8 décembre 2020, a réuni environ 80 personnes du monde entier. C’est Anne Marsaleix qui signe cette magistrale synthèse!

Débats de langue ou de discours? Le cas de l’écriture inclusive

Laurence Rosier (ULB/LaDisco/Striges, Conseillère pour la politique de genre ULB)

Laurence Rosier a commencé par faire un point terminologique sur l’inclusion et l’adjectif « inclusif », cet anglicisme « qui n’exclut personne », en précisant les manifestations du collectif et du « nous » en français. Une société inclusive, c’est une société qui prend en compte les personnes pour elles-mêmes et par elles-mêmes.

L’écriture inclusive a été définie par Raphaël Haddad à l’occasion de la publication par l’agence Mots-Clés du Manuel d’écriture inclusive, qui a fait date dans la discipline. Cette définition a été validée par les spécialistes en la matière, dont Éliane Viennot : « L’écriture inclusive désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques qui permettent d’assurer une égalité de représentations des deux sexes. Concrètement, cela signifie notamment : renoncer au masculin générique (“des acteurs du développement durable”), à la primauté du masculin sur le féminin dans les accords en genre (“des hommes et des femmes sont allés”), ainsi qu’à un ensemble d’autres conventions largement intériorisées par chacun et chacune d’entre nous. »

Il est toujours amusant de noter les crispations générées par l’écriture inclusive réduite au plus simple appareil du point médian, accusé tantôt d’être un facteur d’exclusion, tantôt de dénaturer la langue française. Ces crispations révèlent surtout à quel point le sujet est politique, à quel point la langue est politique et à quel point des positionnements linguistiques peuvent être clivants. Parce que ce qui est mobilisé dans ce débat, au-delà de la norme de l’ordre des mots et de la conjugaison, ce sont aussi les imaginaires et idéologies linguistiques : le masculin générique, le masculin qui l’emporte sur le féminin, toutes nos constructions grammaticales, qui relèvent de la sphère sociale, culturelle et sociétale. Il y a ce qu’« il faut dire », ce qui est « beau » ou « laid », la charge de sens ce que l’on attribue à un terme, la question du politiquement correct (on ne peut plus rien dire), la connotation souvent négative des mots féminins, etc. Le français n’est pas normé pour être neutre.

On voit bien que la Belgique et le Canada francophone sont davantage ouverts au langage inclusif que la France, qui souffre du poids symbolique de l’Académie française et où le purisme est un sport national. Mais partout, on reste loin d’une reconnaissance de l’écriture inclusive. La diversité est considérée comme une difficulté. Le guide Inclure sans exclure est un bon exemple de ce que demandent les administrations : les règles simples d’inclusivité y sont bien présentées, mais les pratiques innovantes y sont mises de côté. Cette non-binarité ne participe pas de la visibilisation des minorités.

Laurence Rosier a présenté les différentes marques d’inclusion en français, cette langue si genrée et qui pourtant, il fut un temps, était bien plus inclusive. C’était avant que des hommes ne s’en emparent pour achever de la normer et ne décident qu’on ne pouvait pas féminiser les noms de métier : elles risqueraient de pouvoir les exercer, ces métiers. De nombreuses femmes ont d’ailleurs intégré cette misogynie au point de trouver qu’il valait mieux pour elles être directeur, car le poste de directrice serait moins prestigieux en raison du poste de directrice d’école (la  pensée intersectionnelle impose de souligner que nous sommes bien en présence de mépris de classe).

Après quelques rappels morphosyntaxiques sur le féminin et relatifs aux stratégies des langues étrangères pour tendre à la neutralisation (they en anglais par exemple), nous avons vu que la neutralisation pouvait passer par la généricité (le public, la direction, etc.), mais que l’on pouvait aussi faire appel à la néologie, bien qu’elle soit encore assez mal reçue chez nous, alors même qu’elle représente un puissant un moteur de créativité.

En parlant de créativité, Alpheratz, linguiste spécialiste du français inclusif et du genre neutre, a rédigé une Grammaire du français inclusif susceptible de répondre à toutes nos interrogations, pour peu que l’on soit en mesure d’accueillir de nouvelles formes dans la langue. En forme de laboratoire, à la manière de l’Oulipo.

Laurence Rosier a tiré une analyse SWOT du langage inclusif : sa force politique et les garanties qu’il apporte en termes de visibilité et d’appropriation peuvent être affaiblies par son degré de technicité et sa difficulté d’accès à certains publics. Elle cristallise l’opposition entre les publics qui s’en empareront au nom de l’égalité des chances et les groupes dominants et conservateurs qui défendent la valeur élitiste de la langue française.

L’écriture inclusive permet d’agir sur les représentations, notamment celles que se font les enfants de leur avenir. Au-delà des efforts de normalisation sur les claviers par l’AFNOR, le rôle fondamental de la typographie a également été abordé : comme un pied de nez à ce milieu souvent misogyne bien qu’ancré dans des valeurs anarchistes, nombre de collectifs de graphistes et typographes travaillent, entre autres, à de nouveaux glyphes pour accompagner ce changement.

En ce qui concerne le domaine de la traduction, si l’on peut observer que les personnes qui embrassent cette carrière sont souvent au premier abord rétives au langage inclusif, des participantes ont fait remarquer que les choses sont en train de changer : la Société française de traduction (SFT) dispose d’une commission d’écriture inclusive et d’un guide de rédaction et les discussions sont sans cesse en cours, et son homologue autrichienne a réalisé de grandes avancées en la matière, notamment en rédigeant des conditions générales de vente inclusives.

Pour conclure, les mots clefs de l’écriture inclusive sont les suivants : appropriation, variation, adaptation au contexte, néologie. Ils reflètent bien son potentiel créatif, et c’est probablement son atout majeur dans le processus d’acceptation par la société.

Compte rendu : Anne Marsaleix (Marsa Traduction / Smartbe – Productions)

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