Le traducteur littéraire est un personnage incontournable. Sans lui, pas de compréhension possible entre les cultures, rien que des murs linguistiques infranchissables. La Foire du Livre de Bruxelles, bien consciente du rôle majeur que le traducteur joue dans la chaine du livre et sur la scène culturelle, a organisé lors de la journée professionnelle du lundi 13 mars, la Deuxième Journée de la traduction littéraire sur le thème « Bruxelles-Babel ». On trouvera ici les échos de trois rencontres proposées au cours de cette journée qui a rassemblé, sur la Place de l’Europe, un large public de passionnés.
La première rencontre Babel Poésie : des éditions bilingues, pour quoi faire ? était animée par Christian Marcipont, professeur à l’UCL et USL-B, et réunissait la poétesse et traductrice innue (une région située au nord du fleuve Saint Laurent), Joséphine Bacon, le poète espagnol Javier Vicedo Alos et son traducteur francophone Édouard Pons.
Christian Marcipont a initié le débat en posant aux intervenants cette question un peu provocatrice : est-il seulement possible de traduire la poésie ? Plein de répartie, Édouard Pons lui a répondu qu’il en doutait, mais que cela était néanmoins indispensable. Il a cité en exemple tous ces auteurs que nous ne connaîtrions pas s’ils n’avaient pas été traduits : Cervantes, Dante, etc. Joséphine Bacon a, quant à elle, répondu à la question en partant de son cas personnel. Poétesse écrivant dans sa langue première (l’innu-aimun), elle traduit elle-même ses poèmes vers le français. Comme elle l’a expliqué, l’innu-aimum est une langue qui s’est créée dans un contexte de vie nomade, en contact direct avec la nature. C’est ainsi que de nombreux concepts français n’existent pas en innu-aimum comme, par exemple, le concept de « liberté » qui est un fait et n’a donc pas besoin d’être décrit. A l’inverse des concepts innus n’existent pas en français comme le nom de certains phénomènes météorologiques. Ces difficultés l’obligent donc à adapter ses poèmes écrits en innu-aimum lorsqu’elle les traduit vers le français. Les deux auteurs ont alors lu l’un de leurs poèmes, d’abord dans sa version originale, puis dans sa traduction française.
Le débat a ensuite porté sur le principe de l’édition bilingue : les auteurs y voyaient-ils un intérêt personnel ou était-ce un choix éditorial ? Javier Vicedo Alos et Joséphine Bacon aiment que le lecteur puisse comparer les deux versions du texte. Joséphine Bacon a précisé qu’elle écrivait pour les gens de son peuple, les anciens comme les générations futures, alors que Javier Vicedo Alos apprécie que le lecteur puisse découvrir la musique du poème original. Il a conclu la rencontre en rappelant que la spécificité de la poésie était la combinaison de sons et de sens.
Texte Maxime Hanchir
A lire :
Joséphine BACON, Un thé dans la toundra – Nipishapui nete mushuat, Mémoire d’encrier, Montréal, 2013.
Javier VICEDO ALOS, Insinuations sur fond de pluie, Fondencre, Collection Beaux Livres, 2015, traduction Edouard Pons et illustration Monique Tello.
Une autre rencontre intitulée Bruxelles Babel : traduire aussi les langues dites « mineures » abordait une problématique étonnante car on ne rencontre pas tous les jours des traducteurs littéraires du letton, du croate, du mongol, de l’irlandais ou du maltais ! Nicolas Auzanneau (letton), Chloé Billon (croate), Munkhzul Renchin (mongol), Seán Hade (irlandais) et Rachel Zammit McKeon (maltais) entouraient Christine Defoin pour tenter de répondre à une série de questions autour de la traduction des langues rares. Comment rencontrer SA langue rare ? Comment se former ? Comment trouver des éditeurs ?…
Bien évidemment, toutes les langues rares ne connaissent pas les mêmes difficultés. Certaines, comme l’irlandais, sont non seulement peu utilisées dans le monde, mais également au sein de leur pays d’origine ; tandis que d’autres, comme le maltais, sont certes rares sur le globe, mais jouissent d’une grande popularité sur leur territoire.
Au sujet de la formation, la plupart des intervenants ont cité l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) de Paris, l’un des rares endroits à proposer des études de traduction pour les langues rares. Car s’il est possible de trouver des écoles qui proposent des cours de langue en mongol ou en irlandais, presque aucune ne propose de cours de traduction dans ces langues.
Dans le milieu de l’édition, un éditeur ne cherche (presque ?) jamais de lui-même un traducteur du letton ou du mongol. C’est donc au traducteur de trouver des livres dignes d’être traduits, susceptibles d’intéresser le public cible, puis de démarcher des maisons d’édition. Plus que jamais, le traducteur doit jouer un rôle actif et consacrer ainsi beaucoup de temps à un travail plus proche de celui de l’éditeur et non rémunéré, dans l’espoir de signer un contrat.
Et le travail ne s’arrête pas là : une fois le texte traduit, encore faut-il le promouvoir. Les salons et foires sont en ce sens indispensables, car ils permettent d’augmenter la visibilité, de servir de vitrine à ces traducteurs de langues si méconnues du grand public.
Texte Marjorie Gouzée
A lire :
Luvsandorj ULZIITUGS, Aquarium, Boréalia, Paris, 2017, traduction Renchin Munkhzul.
Jānis JONEVS, Metal, Gaïa, 2016, traduction Nicolas Auzanneau.
Renato BARETIC, Le huitième envoyé, Gaïa, 2016, traduction Chloé Billon.
Une troisième rencontre très suivie était consacrée à Bruxelles Babel : capitale du sous-titrage, du doublage et du voice over, trois volets de la traduction du secteur audiovisuel parfois méconnus du grand public.
L’animatrice Nathalie Caron (UCL et USL-B) était accompagnée de spécialistes de ces disciplines : Valérie Steinier-Vanderstraeten (Virtual words, sous-titrage), Valérie Vanden Dunghen (ULB, sous-titrage), Valérie Tatéossian (ATAA, voice over), Emmanuel Maindiaux (Nice fellows, doublage).
Le sous-titrage est la traduction écrite d’un texte oral. Le sous-titreur doit se plier à des contraintes liées au temps de lecture. Le sous-titreur n’a évidemment pas de notes de traducteur à disposition, il doit faire passer le message d’origine dans un espace réduit. Il doit également faire attention à l’image. Par exemple si l’on traduit « Do you mind if I sit down ? — No. » par « Puis-je m’asseoir ? — Oui », le spectateur aura du mal à comprendre s’il lit « oui » alors que l’acteur fait « non » de la tête ! De plus, les films à sous-titrer sont parfois des adaptations de livres déjà traduits. Dans ce cas, le sous-titreur doit absolument se calquer à la terminologie employée dans la traduction existante. Pensons à Harry Potter : si le sous-titreur change la traduction des termes « moldus », « mangemorts », etc., il fâchera le spectateur passionné par la série !
Le doublage, de son côté, est la traduction orale d’un texte oral. Les contraintes sont différentes : ici, le traducteur doit s’arranger pour que la traduction calque parfaitement l’original au niveau du temps de parole. Le texte sera joué par un acteur, il doit donc être facile à lire, ne pas employer de mots difficiles à prononcer.
Enfin, le voice over est plus proche du doublage que du sous-titrage. Souvent méconnue, cette pratique consiste à superposer au son original le texte traduit et enregistré, le plus souvent dans le cas de documentaires. Contrairement au doublage, où le texte original et le texte traduit doivent faire le même temps de lecture, en voice over, la traduction doit être plus courte que l’original, pour que l’on puisse entendre le début et la fin de la phrase d’origine. Comme le doublage, le texte va être lu et il doit donc être facile à prononcer.
S’il est très simple de trouver des formations en sous-titrage, le doublage et le voice over sont moins courants dans les universités. Toutefois, l’offre se développe de plus en plus ces dernières années pour satisfaire la demande toujours croissante. L’UCL va ainsi ajouter le doublage à son programme dès septembre 2017.
Texte Marjorie Gouzée
Nous proposerons prochainement un écho d’autres rencontres de cette journée : Thomas Gunzig et ses traducteurs, Le Roi Babel et la langue des signes !