Une expérience de traduction collaborative au CITL d’Arles
Depuis sa création en 1987, le Collège international des traducteurs littéraires (CITL) a déjà accueilli plus de 1300 résident.e.s du monde entier à Arles. Il a pour mission de favoriser les échanges entre professionnel.le.s de la traduction, notamment en mettant à leur disposition un lieu où vivre et travailler. Avec ses dix chambres individuelles, son espace de convivialité et sa bibliothèque ouverte 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, cette résidence est un lieu unique en France.
Le CITL** réunit régulièrement des traducteur.rice.s pour des ateliers, comme « ViceVersa », un programme de traduction littéraire combinant le français et une langue étrangère. Mais du 28 octobre au 1er novembre 2019, le CITL accueillait pour la première fois un atelier intensif consacré à la philosophie en quatre langues : allemand, anglais, français et italien. Cet « Atelier des philosophes » était une magnifique expérience, dans les deux sens du terme : les dix participant.e.s, sélectionné.e.s suite à un appel à candidatures, ont pu vivre une expérience collective, partager leurs questionnements et confronter leurs points de vue, mais aussi contribuer à la première édition d’un atelier expérimental, où tout était encore à inventer.
Au centre de l’atelier ? Le travail collaboratif sur les textes. Chaque traducteur.rice a amené un projet de traduction en cours auquel le groupe a consacré respectivement trois heures (réparties en deux séances d’une heure trente), sous la conduite bienveillante de Marc de Launay, traducteur de nombreux philosophes allemands (Kant, Nietzsche, Husserl, Adorno, Habermas,…) et chercheur aux Archives Husserl de Paris. Sans surprise, les débats ont notamment porté sur les concepts : quelles sont les différences entre Bild et image ? L’auteur fait-il une distinction systématique entre Objekt et Gegenstand? Qu’est-ce qui, dans un texte, est terminologique et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Les discussions ont aussi porté sur la traduction des citations et le travail quasi archéologique de recherche des sources : comment procéder lorsque l’auteur modifie la traduction d’une source qu’il convoque ? Comment interpréter la valeur des guillemets ? Comment traiter ce que l’on soupçonne être une citation en l’absence de référence explicite ? La bibliothèque du CITL, contenant près de 20000 ouvrages en plus de 50 langues, a souvent été d’une aide précieuse. Enfin, la question du littéralisme a été posée à plusieurs reprises : s’il est évident qu’on traduit le sens, on ne peut nier l’importance des mots dans lesquels la pensée prend forme, une pensée ancrée dans l’historicité des langues. Comme l’a très justement rappelé Marc de Launay à l’issue de l’atelier, traduire, c’est toujours aussi réfléchir au langage – un acte profondément philosophique.
Céline Letawe*
*Céline Letawe, enseignante à l’Université de Liège et chercheuse au CIRTI (Centre interdisciplinaire de recherche en traduction et en interprétation), a participé à l’Atelier des philosophes dans le cadre de l’anthologie qu’elle prépare avec Maud Hagelstein sur la théorie de l’image allemande.
**Le CITL accueille des traducteur.rice.s individuel.le.s pour des périodes de une semaine à trois mois. La seule condition est d’avoir un contrat de traduction avec une maison d’édition. La participation aux frais de résidence s’élève à 20 euros par jour. Pour plus d’informations, voir le site de l’Association pour la promotion de la traduction littéraire (ATLAS) : http://www.atlas-citl.org