Le traducteur à l’ère des nouvelles technologies II

Le 06 mai 2019, le CIRTI (ULiège) organisait une journée d’étude autour d’un thème riche et controversé, Le traducteur à l’ère des nouvelles technologies dans la salle du TURL, le théâtre universitaire de l’Université de Liège. Le colloque s’articulait autour des présentations de dix intervenant·e·s du monde universitaire venu·e·s présenter leurs recherches. Nous avons eu l’occasion de vous présenter les premières interventions lors d’un précédent article. Voici la suite!

  • Effets de la post-édition de TA sur la qualité des textes traités au sein de la DGT de la Commission européenne : résultats préliminaires et premières tendances
    Loïc De Faria Pires, Université de Mons

À la DGT de la Commission européenne, on observe un recours croissant à la post-édition de la traduction automatique en raison de l’augmentation des documents à traduire. Dans le cadre des recherches de sa thèse, Loïc De Faria Pires a étudié les marques de révision dans les segments post-édités par des traducteurs de la DGT afin de déterminer s’il existe une corrélation entre l’expérience du post-éditeur et la qualité de la post-édition.
Le corpus n’étant pas complet, il nous présente ici des résultats provisoires.
La première hypothèse partait du principe que la qualité de la post-édition ne dépendait pas de l’expérience des post-éditeurs. D’après les résultats, le traducteur non expérimenté semble fournir une meilleure révision que le traducteur expérimenté. Cela dépend probablement de leur affinité avec la traduction automatique et la post-édition.
La deuxième hypothèse prévoyait que les catégories de révision étaient influencées par l’expérience des post-éditeurs. Ici, les variations individuelles sont beaucoup plus marquées, probablement en fonction des différents niveaux de tolérance des réviseurs.

  • La post-édition de traduction automatique en contexte académique : de bon ou de mauvais augure ?
    Perrine Schumacher, Université de Liège

L’objectif de l’étude de Perrine Schumacher est d’explorer les effets de la post-édition de la traduction automatique sur la qualité du texte cible en vue d’améliorer la formation du traducteur.
Dans le cadre de ses recherches, elle a demandé à des étudiants en traduction de traduire plusieurs textes via trois procédés : traduction humaine, traduction automatique statistique et traduction automatique neuronale. Une note globale a ensuite été donnée à la traduction lors de la phase d’évaluation.
L’étude a démontré qu’il n’y avait pas de corrélation entre le mode de traduction et la qualité du texte traduit. On remarque toutefois que la traduction automatique neuronale présente un score assez similaire à celui de la traduction humaine. Mais si l’on examine les résultats par étudiant, on remarque que ceux qui ont commis le plus d’erreurs en traduction humaine sont ceux qui en ont commis le moins en post-édition de traduction automatique. Inversement, les étudiants qui ont commis le moins d’erreurs en traduction humaine sont ceux qui en ont commis le plus en post-édition de traduction automatique.
Quid donc de l’organisation d’une formation académique en post-édition ? Il semblerait que les moins bons profils en bénéficieraient, au contraire des meilleurs éléments qui risqueraient de se sentir brider dans leur créativité.
En conclusion : une formation en post-édition ? Peut-être, mais surtout… plus tard ! L’essentiel étant d’abord de former de bons traducteurs.

  • Unsupervised Machine Translation for Low Resource Languages
    Ashwin Ittoo, HEC Liège – Université de Liège

Pour de nombreuses combinaisons linguistiques, il n’existe pas de corpus parallèles. Mais il existe des manières de contrer cela : la back translation et la traduction automatique non supervisée.
Dans le cas de la back translation, il s’agit d’entraîner la machine sur un grand corpus monolingue et de fusionner ensuite les corpus monolingues pour créer un corpus parallèle de plus grande taille et entraîner les modèles de traduction automatique, jusqu’à ce que l’on parvienne à une qualité satisfaisante.
La traduction automatique non supervisée, quant à elle, se base sur les word embeddings, c’est-à-dire des vecteurs qui représentent des mots, plus ou moins proches les uns des autres. Il s’agit donc de générer des vecteurs de chaque mot dans deux corpus monolingues pour créer ensuite une typographie qui décrit chaque langue. L’objectif est de transposer l’espace d’une langue à l’espace de l’autre pour les superposer.
Si les résultats sont raisonnablement bons, l’intervention humaine est impérative, notamment pour évaluer les résultats de la machine.

  • Jeux en réalité virtuelle : quelles implications pour le traducteur ?
    Pierre-Yves Houlmont, Université de Liège

Un jeu vidéo est composé de différentes sémiotiques (textes, images, sons, possibilités d’action et d’interaction, etc.) qui véhiculent du sens et forment un tout cohérent. Lorsqu’il traduit un jeu vidéo, le traducteur doit prendre tout cela en compte. Mais de quel(s) outil(s) dispose-t-il pour mener à bien sa mission ?
Le jeu vidéo est un objet culturel qui est basé sur des codes. Ces codes permettent au joueur d’oublier qu’il se trouve dans un monde fictionnel. Or, si l’on bouleverse ces codes, par exemple en raison d’une erreur de traduction, l’expérience de jeu risque d’être bouleversée. Il est donc primordial que le traducteur dispose de l’ensemble du contexte.
Cela est d’autant plus vrai pour les jeux de réalité virtuelle où l’immersion est totale. Ces jeux sont basés sur de nouveaux codes de consommation. Les usages sont différents des jeux vidéo classiques et parfois contre-intuitifs. Les traducteurs doivent en tenir compte s’ils ne veulent pas bouleverser les codes plus qu’ils ne le sont déjà. Ils ont donc besoin d’une expérience significative dans le milieu. Mais le prix du matériel constitue un obstacle de taille…

  • Projet d’évaluation de la traduction automatique à la Poste suisse
    Sabrina Girletti, Université de Genève

La Poste suisse dispose d’un service linguistique interne, qui compte 25 traducteurs/réviseurs et un pool de traducteurs externes pour traduire 80 000 pages par an.
Le projet de Sabrina Girletti consistait à tester la rentabilité de la traduction automatique au sein de ce service, dans le cadre d’une collaboration entre l’université et l’entreprise. La machine a été entraînée sur des textes de la Poste dans quatre domaines spécifiques (manuel de formation des collaborateurs, manuels PostFinance, manuel Réseau Postal et rapports de gestion).
Afin de dissiper leurs craintes, les traducteurs de la Poste ont ensuite suivi des formations sur la traduction automatique et (l’évaluation de) la post-édition.
Dans un premier temps, la productivité a été évaluée : le temps pour compléter la tâche et la qualité du produit final. Ensuite, il s’agissait de tester la perception de la traduction automatique : 24 % des segments provenant de la traduction automatique ont été attribués à des humains, et 25 % des segments traduits par des humains ont été attribués à la machine !
En conclusion : oui, la traduction automatique peut être rentable. La traduction automatique neuronale donne d’excellents résultats mais nécessite l’implication des traducteurs.

  • Post-éditer à l’heure neuronale : quelle valeur ajoutée pour l’humain face à la machine ?
    Hanna Martikainen, Université Paris Diderot

Avec le passage des systèmes de traduction automatique statistiques aux systèmes neuronaux, et notamment l’apparition de DeepL en 2017, le métier de traducteur évolue vers la post-édition – une vérification nécessaire de la production de la machine.
La traduction automatique neuronale s’accompagne indéniablement d’une série de ruptures du point de vue de la cohésion et de la cohérence : reprises anaphoriques de pronoms (it  il), connecteurs logiques, variation terminologique, acronymes, population d’études (masculin/féminin), comparaisons, degré de certitudes, etc.
Le rôle (indispensable !) du post-éditeur est d’assurer la cohérence et la cohésion du texte. Et il s’agit là de la valeur ajoutée de l’humain par rapport à la machine, puisqu’il mobilise sa connaissance du monde et des clients dont ne dispose pas cette dernière.
Il est toutefois primordial de former les apprenants à la post-édition pour qu’ils puissent acquérir une conscience linguistique et déjouer les pièges de la traduction automatique. Certes, la machine permet un gain de temps, mais elle influence également la subjectivité du post-éditeur : si la traduction automatique est un outil, la traduction humaine se caractérise par sa variété.

La journée se clôture par une table ronde réunissant l’ensemble des intervenant·e·s sur le devant de la scène pour un dialogue avec le public.
Valérie Bada conclut en rappelant que les questions soulevées lors de la journée s’inscrivent sans nul doute dans un contexte social et politique.
Merci au CIRTI et à Valérie Bada, Céline Letawe et Perrine Schumacher pour l’organisation de cette riche journée d’étude !

Compte-rendu: Malorie Moneaux