Le traducteur à l’ère des nouvelles technologies I

Le 06 mai 2019, le CIRTI (ULiège) organisait une journée d’étude autour d’un thème riche et controversé, Le traducteur à l’ère des nouvelles technologies. Professeurs, étudiants et professionnels de la traduction s’étaient réunis en nombre dans la salle du TURL, le théâtre universitaire de l’Université de Liège, en plein centre-ville.

Le colloque s’ouvre sur un mot d’introduction de Pierre Wolper, recteur de l’Université de Liège, qui s’interroge sur l’avenir des métiers de la traduction. Ni l’être humain ni la machine ne peuvent atteindre la perfection, mais ils œuvrent tous deux dans un but similaire. L’avenir du métier n’aurait-il donc pas tout à gagner à tendre vers une coopération active entre l’homme et la machine ?

Annick Delfosse, vice-doyenne à la recherche de la faculté de Philosophie et Lettres, présente ensuite le CIRTI, centre de recherche et d’enseignement au caractère pluridisciplinaire, fondé en 2016 dans le but de créer du lien entre les disciplines, les langues et les publics.

Guillaume Deneubourg, président de la Chambre Belge des Traducteurs et Interprètes, est également présent. La montée en puissance de l’intelligence artificielle dans les métiers de la traduction s’accompagne d’une peur de la destruction de l’emploi humain au service de la machine. Il met en garde contre les nombreuses dérives de la technologie à l’heure actuelle, souvent utilisée pour justifier des baisses tarifaires. L’équilibre est difficile à atteindre, mais il est toutefois nécessaire de trouver un juste milieu pour « dissiper les craintes des traducteurs et tempérer l’optimisme des clients ».

Valérie Bada, directrice du CIRTI, clôture la présentation de cette journée en donnant un exemple de traduction automatique pertinent : un extrait de Robinson Crusoë traduit par DeepL. Elle démontre ainsi l’incapacité de la machine à traduire la complexité de la pensée et de la créativité humaines, et pose la question de savoir s’il s’agit plutôt d’un instrument de déshumanisation ou d’un outil de progrès. À défaut de pouvoir donner à cette interrogation plus que justifiée une réponse concrète, cette journée d’étude entend bien replacer l’être humain au centre de la réflexion.

Le colloque s’articule autour des présentations de dix intervenant·e·s du monde universitaire venu·e·s présenter leurs recherches:

  • Introduction à la traduction automatique
    Lise Volkart, Université de Genève
  • Tour d’horizon des outils d’aide à la traduction : nouvelles tendances
    Marianne Starlander, Université de Genève
  • TLA et TLAO : enjeux et perspectives d’avenir
    Damien Hansen, Université de Liège
  • Le traducteur ne sera pas remplacé par la technologie – Il sera remplacé par un traducteur qui utilise la technologie
    Thierry Fontenelle, Centre de traduction des organes de l’UE
  • Effets de la post-édition de TA sur la qualité des textes traités au sein de la DGT de la Commission européenne : résultats préliminaires et premières tendances
    Loïc De Faria Pires, Université de Mons
  • La post-édition de traduction automatique en contexte académique : de bon ou de mauvais augure ?
    Perrine Schumacher, Université de Liège
  • Unsupervised Machine Translation for Low Resource Languages
    Ashwin Ittoo, HEC Liège – Université de Liège
  • Jeux en réalité virtuelle : quelles implications pour le traducteur ?
    Pierre-Yves Houlmont, Université de Liège
  • Projet d’évaluation de la traduction automatique à la Poste suisse
    Sabrina Girletti, Université de Genève
  • Post-éditer à l’heure neuronale : quelle valeur ajoutée pour l’humain face à la machine ?
    Hanna Martikainen, Université Paris Diderot

En voici un aperçu en deux parties:

  • Introduction à la traduction automatique
    Lise Volkart, Université de Genève

Pour commencer, un peu de contexte !Si la traduction automatique est née dans les années 50, elle se popularise surtout dans les années 2000 grâce à l’émergence d’internet et à la multitude d’outils gratuits en ligne accessibles à tous. Cependant, la qualité n’est pas au rendez-vous et la traduction automatique jouit d’une mauvaise réputation. Mais elle n’a pas dit son dernier mot : la récente amélioration de la qualité de la traduction automatique et le développement des systèmes neuronaux (par opposition aux systèmes statistiques) suscitent aussi bien de l’intérêt que des craintes : le gain de productivité s’accompagne trop souvent d’une réduction des coûts.

On distingue actuellement deux grandes familles de systèmes de traduction automatique. D’une part, il y a les systèmes généralistes, tels que Google Translate ou encore DeepL : ces outils en ligne gratuits couvrent de nombreux domaines mais sont peu performants dans les domaines spécialisés. D’autre part, on retrouve les systèmes spécialisés dans un domaine ou créés spécifiquement pour une entreprise, disponibles en open source ou commercialisés. L’usage de ces deux types de systèmes diffère (grand public versus traducteurs et professionnels), tout comme la qualité attendue.

À un niveau professionnel, la présence de l’humain reste tout de même requise : le traducteur va donc acquérir de nouvelles compétences puisqu’il corrige le texte produit par la machine, et il endosse alors la casquette de post-éditeur. Le processus est différent de celui de la traduction et de la révision, mais il permettrait un gain de productivité (variable en fonction du post-éditeur et du domaine de spécialisation du texte), une réduction des coûts et une augmentation du volume de traduction. À suivre…

Lise Volkart conclut en rappelant que la traduction automatique n’est pas un ennemi qu’il faut vaincre à tout prix, mais un outil au service du traducteur, qu’il faut apprivoiser.

  • Tour d’horizon des outils d’aide à la traduction : nouvelles tendances
    Marianne Starlander, Université de Genève

La technologie est omniprésente dans le travail du traducteur : des outils de gestion de la terminologie, aux concordanciers et à l’alignement, en passant par les systèmes de mémoire de traduction et la reconnaissance vocale, il est difficile de nier la place qu’elle occupe dans le quotidien des professionnels de la traduction. L’une des tendances observées ces dernières années est l’émergence des systèmes de mémoire de traduction dans le cloud. S’ils présentent l’avantage de ne pas nécessiter d’installation de logiciel en local (en dehors du navigateur compatible) et de stocker les projets et les données sur un serveur, facilitant ainsi le travail en équipe, ils dépendant toutefois de la vitesse de navigation et soulèvent des questions liées à la confidentialité.

Mais qu’en est-il de l’intégration de la traduction automatique dans tous ces outils ? En effet, la plupart des systèmes de mémoire de traduction intègrent la traduction automatique neuronale dans l’éditeur. La frontière entre traduction automatique et mémoire de traduction semble s’estomper. On voit même apparaître une traduction automatique personnalisée, qui prend en compte les corrections du post-éditeur. C’est notamment le cas d’Adaptive TM dans SDL Trados, mais les résultats ne sont guère concluants. Quoi qu’il en soit, une fois de plus, l’utilisation de cette nouvelle technologie soulève de nombreuses questions juridiques sur la confidentialité.

En conclusion, de nouvelles tendances se dessinent dans les outils d’aide à la traduction. La traduction automatique est certainement l’un d’entre eux, même si elle doit encore faire face à de nombreux défis.

  • TLA et TLAO : enjeux et perspectives d’avenir
    Damien Hansen, Université de Liège

S’il n’y a pas de réelle opposition à la Traduction Littéraire Assistée par Ordinateur (TLAO), on ne peut pas affirmer que les logiciels habituels se prêtent vraiment à cet exercice : la prise en charge reste compliquée ; la mémoire de traduction est souvent inefficace ; un découpage du texte en paragraphe serait préférable à la segmentation habituelle. Certains outils, comme TRADUXIO, proposent toutefois une alternative pour la traduction de textes culturels. Bref, actuellement, la TLAO est écartée, même si elle jouit d’un regain d’intérêt dans le monde anglophone depuis 218. La Traduction Littéraire Automatique (TLA), quant à elle, est un domaine dominé par les ingénieurs, et soulève des questions liées au style et à la cohérence du texte. Il faudrait en effet parvenir à dépasser le niveau de la phrase pour s’intéresser à la globalité du texte.

Il est donc possible de tirer profit des avancées technologiques et de développer des outils spécialisés et mieux adaptés à la traduction littéraire. Il s’agit d’un domaine d’étude prometteur, mais qui nécessite d’informer les acteurs du marché sur le fonctionnement du métier pour éviter les dérives.

  • Le traducteur ne sera pas remplacé par la technologie – Il sera remplacé par un traducteur qui utilise la technologie
    Thierry Fontenelle, Centre de traduction des organes de l’UE

Le Centre de traduction des organes de l’UE, fondé en 1994 à Luxembourg, se charge des demandes de traduction de la plupart des agences de l’Union européenne. Il s’agit de répondre aux besoins des agences qui n’ont pas de service de traduction et de rationaliser les méthodes de travail, dans le but de réaliser des économies d’échelle et de centraliser les coûts liés à l’externalisation.

Récemment, le Cdt a dû répondre aux besoins croissants de ses clients sans augmenter l’effectif. Mission impossible ? Probablement… Mais c’est sans compter le rôle joué par la technologie : outils de terminologie (IATE, ECHA-term), gestion automatique des traductions et de la disponibilité des traducteurs (portail eCdt), mémoire de traduction (Euramis), … Et la traduction automatique ! Il y a peu, le Cdt a développé son propre outil de traduction automatique : e-translation, un système neuronal commun à l’ensemble de l’Union européenne, entraîné sur les textes de l’UE !

L’introduction de cet outil a bien sûr eu un impact sur le profil des traducteurs, qui doivent acquérir davantage de compétences en post-édition. S’ils étaient plutôt frileux au départ, l’outil leur semble aujourd’hui indispensable. Il faut bien sûr qu’il soit intégré dans une panoplie d’autres outils, et ce toujours dans le respect des délais et de la qualité des traductions. (A suivre)

Compte-rendu: Malorie Moneaux