EuropaNova – Terres mythiques

Dans le cadre de son festival Terres mythiques 2018, EuropaNova/Espace de langues européennes organisait le jeudi 27 septembre, une rencontre autour de la traduction littéraire.

L’asbl EuropaNova, située en plein quartier européen, se définit, à la fois, comme une librairie d’Europe centrale, orientale et balkanique, une école de langues (roumain , slovaque, turc et grec), une école roumaine pour les enfants, un lieu de conférences & évènements culturels.
Cette rencontre autour de la traduction littéraire était animée par Iona Belu (Présidente d’EuropaNova) et mettait en présence trois traducteurs : Anita Bernacchia (traduction du roumain en italien), Teresa Leitão (traduction du roumain en portugais) et Pierre-Marie Finkelstein (traductions de l’afrikaans et du portugais vers le français).

Une des questions centrales était de savoir comment on en vient à traduire. Mais aussi à traduire un écrivain roumain. Par passion ?

Anita Bernacchia, Italienne d’origine roumaine, est née et a étudié en Italie. Le roumain est pour elle, étrangement, une culture à la fois maternelle et étrangère. Ce n’est qu’à l’âge de 15 ans qu’elle se met à parler le roumain et à lire la littérature roumaine en langue originale. Elle ne se destinait pas à la traduction littéraire mais plutôt à l’interprétation, raison pour laquelle elle a choisi la faculté de l’Université de Trieste pour devenir interprète de conférences. Elle y a étudié l’anglais, le russe et l’allemand. Langues auxquelles elle ajoute ensuite, notamment, le roumain. Quelques années plus tard elle a l’opportunité de poser sa candidature pour une bourse de traduction littéraire à Bucarest, offerte par l’Institut culturel roumain et elle décide de tenter l’aventure. Elle se lance…

Pierre-Marie Finkelstein étudie le roumain depuis plusieurs années, mais il ne traduit pas encore cette langue. Quand il apprend une langue, il aime connaître les langues de la même famille. Après avoir étudié le néerlandais à Paris et aux Pays-Bas, il s’est intéressé à l’afrikaans. Et dans le même ordre d’idées, il étudie le roumain et le portugais après avoir étudié l’espagnol. Au début des années 2000, alors qu’il termine une formation au CETL (Centre européen de Traduction littéraire), se présente à lui l’opportunité de traduire, pour les éditions Phébus, son auteur favori, l’écrivain sud-africain Karel Schoeman (1939-2017) dont, à l’époque, on ne trouvait qu’un livre de poèmes traduits directement de l’afrikaans. Et c’est l’accomplissement d’un de ses rêves.
Jusqu’à aujourd’hui, Pierre-Marie Finkelstein traduit essentiellement de l’afrikaans et du néerlandais si le livre concerne l’Afrique du Sud. Ainsi, il a traduit Le fléau de l’auteur belge David Van Reybroek, de la poésie et accessoirement de l’anglais d’Afrique du Sud car les traducteurs sont nettement plus nombreux. Actuellement, ils ne sont toujours que deux traducteurs à traduire la littérature sud-africaine de l’afrikaans ; avant, cette littérature était connue en français grâce à des œuvres traduites à partir de la traduction anglaise. Pierre-Marie Finkelstein a donc choisi de se concentrer sur les traductions de l’afrikaans. Mais, lors d’une formation de roumain à Cluj, il découvre les œuvres de Mihai Tican Rumano (1895-1967), – un auteur dans la lignée de Panaït Istrati (1884-1935) – , voyageur passionné qui a sillonné l’Afrique et qui se trouvait notamment en Ethiopie, dans les années 30, lors de l’invasion italienne. C’est un projet de lecture et peut-être de traduction, vu toutes ces accointances avec l’Afrique. Si Pierre-Marie Finkelstein devait traduire du portugais, il mènerait à terme le projet de traduction d’une poétesse angolaise, Ana Paula Ribeiro Tavares (1952) ou de l’auteur portugais Daniel Faria (1971-1999), décédé prématurément et considéré comme un des grands poètes portugais.

Le cas de Teresa Leitão est un peu particulier. Interprète professionnelle au départ, elle s’est prise d’une grande passion pour la Roumanie, pour les Roumains, leur langue et leur culture. C’est à Neptun qu’elle rencontre l’auteur Dinu Flamand, à l’occasion d’un festival « Les jours et les nuits de la littérature » où elle était invitée. Cette année-là (2003), Antonio Lobo Antunes, très grand ami du poète, est présent et reçoit le Prix Ovidius pour « la qualité de son œuvre et la contribution apportée à la liberté d’expression et à la tolérance inter-raciale ». C’est lui qui l’encourage à traduire ce poète.

Selon Teresa Leitão, la poésie de Dinu Flamand est très visuelle. Il pose un cadre dans lequel quelque chose se déroule… Elle dit avoir appris le roumain, l’univers de Dinu Flamand et la Roumanie en même temps. Il lui racontait ses histoires et elle voyageait en Roumanie. Teresa cite l’exemple du mot gradina qui veut dire « jardin » mais, en fait, désigne bien d’autres choses. C’est en connaissant les « jardins » de Transylvanie, à la fois jardin, potager, verger qu’elle a pu trouver le meilleur mot correspondant en portugais. Elle ajoute : Avec la poésie de Dinu Flamand, j’ai pu comprendre beaucoup de chose dans mon propre corps… Moi-même, j’ai vécu dans une autre dictature, j’ai vécu dans un pays en périphérie : je n’ai pas transposé des mots mais des atmosphères. C’est Antonio Lobo Antunes qui nous a trouvé un éditeur, il a aussi eu la gentillesse de relire ma traduction – qu’il a appréciée – et de préfacer le recueil.
Elle précise aussi que, au Portugal, quand elle commencé à traduire, personne n’avait fait de sérieuses études de traduction du roumain ; en revanche, il y avait des Roumains émigrés au Portugal qui faisaient des carrières universitaires. Comme ils connaissaient très bien le portugais, la plupart des traductions du roumain en portugais étaient faites par des Roumains. Mais, à titre personnel, elle trouve que cela ne fonctionne pas, même si leur niveau en portugais est excellent. Il ne suffit pas de connaître très bien la langue, dit-elle. Je ne sais pas si quelqu’un qui est arrivé à la langue en étant adulte peut traduire. Il y a des traductions d’œuvres roumaines en portugais très pénibles, du style ‘roman de gare’, comme celle de Mircea Cartarescu (1956), par exemple. La question se pose.

Quand un traducteur se sent-il prêt à traduire un texte ? Quand est-il certain de sa version ?

Pierre-Marie Finkelstein le dit : la traduction est un jeu d’équilibriste : on est en permanence sur un fil, toujours en négociation entre ce l’on perd et ce que l’on veut essayer de gagner. On n’est jamais sûr de rien et, en plus, il y a toujours quelqu’un qui vérifie. En France, certaines grandes maisons d’éditions ont des lecteurs pour certaines langues comme l’anglais, l’allemand, parfois l’espagnol… Pour les autres langues, non. La plupart du temps, les correcteurs relisent le texte français et apportent leurs commentaires sur le texte français, en tant que texte français. Ce sont eux les premiers lecteurs, ce sont eux qui vont buter sur quelque chose et vérifier si c’est justifié… Le traducteur doute en permanence. Pour l’afrikaans, c’est d’autant plus périlleux qu’il n’y pas de dictionnaire bilingue avec le français. Il existe de bons dictionnaires unilingues, tout en afrikaans, un bon dictionnaire afrikaans/anglais et, depuis peu, afrikaans /néerlandais. Ces deux dernières langues ont évolué différemment depuis 350 ans. Il y a bien sûr une intercompréhension dans le vocabulaire, et l’emploi d’archaïsmes en afrikaans, mais pour la grammaire, les différences sont nettement plus marquées. Travailler sans dictionnaire bilingue, c’est une difficulté supplémentaire.
Ecoutons l’avis d’Anita Bernacchia : Plus le style est difficile ou complexe, plus c’est intéressant de se mettre à le traduire. Je traduis plusieurs poèmes d’auteurs contemporains, mais aussi d’une poétesse dite postmoderne, Nina Cassian (1924-2014, pour la maison d’éditions Adelphi, très prestigieuse en Italie. Il est par exemple très difficile de reproduire la rime en poésie. C’est un défi. Et j’ai réussi … En fait je ne crois pas qu’il y ait de traduction impossible, tout peut être traduit, mais il faut trouver le style, la musique des mots, produire du sens mais aussi une musique difficile à définir. Il faut être un peu écrivain, un peu poète, … La traduction est une activité très intime, très personnelle finalement.

La littérature roumaine commence-t-elle à être mieux connue grâce à la traduction et aux efforts des institutions culturelles ?

Selon Teresa Leitão il y a une quinzaine d’années, quand elle a commencé à aller dans ce pays, avant l’adhésion à l’Europe, la Roumanie n’avait pas bonne presse. Autour d’elle, les gens ont commencé à s’intéresser peu à peu à la Roumanie parce qu’elle était obsédée par ce pays. Mais les choses ont changé. Dans les années 2000, les autorités roumaines ont organisé beaucoup d’activités culturelles et cela a transformé l’image de ce pays. Pourtant les gens n’ont pas une vision d’ensemble. Ils connaissent l’un ou l’autre Roumain sympathique et cultivé, mais cette image sympathique est une chose et une autre celle de savoir que la Roumanie est un pays de culture, et de culture européenne. Et c’est sa passion de faire connaître cette culture.

Anita Bernacchia avance, pour sa part, l’idée que le public doit être prêt à accepter la diversité culturelle ; le cinéma roumain, mieux connu qu’il y a une vingtaine d’années, a contribué en Italie à la promotion de la littérature roumaine. C’est par le cinéma que certains éditeurs ont été sensibilisés. Ils cherchent des livres qui ressemblent à la Roumanie contemporaine, les problèmes sociaux, les années 1980. Le thème du communisme intéresse moins actuellement car beaucoup de livres ont été publiés. Et la traduction en langues française, anglaise ou même espagnole a beaucoup aidé les autres langues. En Italie, il est difficile de promouvoir un auteur qui n’a pas d’autres traductions.

Selon Pierre-Marie Finkelstein, la situation en France est légèrement différente de l’Italie et du Portugal, en ce sens qu’il y a de grands noms de la littérature française qui sont d’origine roumaine, des Roumains ont écrit en français et il existe des écrivains célèbres en raison d’une émigration ancienne et assez structurée. On trouve des départements de roumain dans les universités, des chercheurs en sciences humaines qui se sont intéressés à l’histoire, à la politique de la Roumanie. La littérature roumaine est mieux diffusée et mieux connue que dans d’autres pays et l’adhésion à l’Union européenne a provoqué un regain d’intérêt ou une découverte. La révolution de 1989 a définitivement placé la Roumanie sur la carte du monde de gens qui, peut-être, ne s’y intéressaient pas auparavant…

Iona Belu a clôturé cette rencontre en espérant que la diaspora continue de contribuer, comme elle le fait depuis des années, à l’image positive de la culture roumaine en Europe.

Anne Casterman

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