Rencontre entre Super-Traducteurs à la Foire du Livre de Bruxelles!

Albert Bensoussan et Claro sont tous deux écrivains, tous deux sont traducteurs et tous deux considérés comme des traducteurs de l’impossible !

Pour ce qui est de Bensoussan, il ne cache pas que c’est son enfance algéroise écartelée entre l’arabe dialectal, le berbère, l’hébreu, le français des casernes ou celui des écoles qui l’a poussé à s’approprier – tel un mime – les voix de l’Amérique latine, avant de se livrer à ses propres récits. Claro confesse n’avoir jamais cessé d’écrire depuis l’enfance, parce que c’était, dit-il, chez lui une « manie », une sorte de rapport pathologique au langage aussi bien littéraire que quotidien.

Mais quand le traître surgit sous les traits du traducteur, il lui faut sortir du piège où voudrait le coincer l’écrivain sous peine de se parodier soi-même ! De faire du « Claro » ou du « Bensoussan ». Car l’écrivain a sa langue dans la langue, avec ses particularités et son style. Dans la traduction, le dédoublement est vivifiant, c’est un autre devenir, une remise en question. Malgré les articles qu’il a publiés sur le sujet, Claro avoue ne pas se poser trop de questions sur sa pratique traduisante : il attend que le livre lui donne sa méthode ! Par exemple, pour sa traduction du roman de John Barth  Le courtier en tabac  dont l’action se situe au XVIIIème siècle et est racontée dans une langue d’époque, il a « appris » cette langue à force de lectures de textes français de ce siècle-là, d’imprégnation et d’acquisition de mécanismes, ce qui lui a permis, dès le premier jet, de parler la langue du texte. La traduction n’est pas un greffon du texte mais son mouvement naturel de voyage, de passage d’une langue à l’autre. Traduire en français, c’est fabriquer de la littérature française. C’est une destruction pour une création. Le texte doit se dissoudre pour réapparaître sous une forme nouvelle.

Selon Bensoussan, il s’agit pour devenir, sans fard ni avatar, la voix de l’auteur, de le côtoyer au plus près, de mastiquer sa nourriture, de boire son alcool et de vivre dans ses lieux, et s’il n’est plus là, d’entrer dans son intimité par de « savants artifices », avant de le « régurgiter ». Pas d’autres moyens pour lui s’il voulait triompher de ce qu’il qualifie d’Himalaya verbal, Trois Tristes tigres de Guillermo Cabrera Infante.

Est-ce aussi par goût de la difficulté que Christophe Claro a choisi de traduire des auteurs aussi surprenants que Pynchon ou Alan Moore? Il aime en effet traduire des textes difficiles, de gros livres et des phrases complexes. Mais il choisit ses difficultés ! Il ne traduit pas de l’anglais mais du Pynchon ! Pourtant, Claro demande peu de conseils à ses auteurs. Il ne cherche pas à savoir ce qu’ils ont « voulu » dire, ils l’ont dit, c’est tout. Il lui faut pénétrer le texte de façon sensitive et avoir de l’empathie avec lui ! Au traducteur de se débrouiller ! Par contre, il est très sensible à leur voix et aime les entendre parler.

Peut-on tout traduire ? Pour Claro, certains textes nous parlent plus que d’autres et il n’hésite pas à parler de ses moments de doutes lors de la traduction des mémoires de Margaret Thatcher ! Mais il pense que peu de textes sont intraduisibles. Pour lui, l’intraduisible est un mythe ! Un truc d’escroc ou de faussaire. Lorsqu’il a dû traduire un roman de 8314 vers en tétramètres iambiques, il a « fabriqué » un nouvel objet littéraire en alexandrin !

Qu’en pense Bensoussan? Voilà une question qui sera peut-être abordée lors de la rencontre entre ces deux Super-Traducteurs, lors de la 3ème Journée de la Traduction de la Foire du Livre de Bruxelles, le jeudi 22 février prochain, à 15h30, à Tours et Taxis (Espace Place de l’Europe).

En tous cas tous deux s’accordent pour dire que le traducteur doit jeter très vite et très loin son égo, il doit apprendre à être caméléon et humble. Le texte est plus intelligent, c’est lui qui dicte sa loi !  Cela promet un débat passionnant et des échanges de vues enrichissants pour tous les traducteurs qui y participeront. Le débat sera animé par Ysaline Parisis , journaliste au Vif-L’Express. Entrée gratuite. Toutes les infos sur www.flb.be

Christine DEFOIN

  • A lire absolument :

Claro. (2009) Le Clavier cannibale, Editions Inculte, coll. « Temps réel ».

Albert Bensoussan .(1995) Confessions d’un traître, Presses Universitaires de Rouen, 1995.

Ce texte est soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à traduqtiv@gmail.com