Florilège du mardi : galerie de portraits

Suite et fin des florilèges du mardi qui reprenaient les articles publiés en 2021 sur notre compte instagram. Et, pour finir en beauté, voici une galerie de portraits : des traducteurs et traductrices qui ont été mis à l’honneur, mois après mois!

Françoise WUILMART

Traductrice littéraire de l’allemand | Directrice du CETL

Par quels chemins es-tu arrivée à la traduction littéraire ?

Mon parcours est atypique : je n’ai jamais voulu être traductrice, on est « venu me chercher » sur la recommandation de mon professeur et maître, Henri Plard, pour traduire le philosophe allemand Ernst Bloch pour Gallimard. J’ai tenté l’expérience, et fus séduite tout de suite. Traduire est devenu ma seconde nature.

Le travail d’un.e traducteur/trice a nourri-t-il ta façon de traduire ? À travers laquelle de ses traductions ?

Non, j’ai appris seule, sur le tas, mais quelques principes ont d’emblée guidé ma conduite traductive : avoir de l’empathie avec le texte, faire entendre la voix de l’Autre en respectant la langue d’arrivée et surtout… « Décoller sans déconner », telle est ma devise !

Aimes-tu traduire un genre littéraire en particulier ?

Non. J’ai traduit tous les genres : philosophie, essais de sciences humaines, romans, nouvelles, poésie, théâtre, avec un égal plaisir.

Une de tes traductions dont tu es la plus satisfaite ?

Dur à dire ! Une Femme à Berlin, journal intime d’une jeune Berlinoise qui écrit au quotidien pour survivre et garder sa dignité, dans ce Berlin de 1945 où les soldats de l’Armée rouge violent toutes les femmes… Je ressentais une grande empathie avec ce texte magistral. On m’a dit que le style et le ton étaient parfaitement rendus en français. Bien sûr, il y a les nouvelles de Stefan Zweig, écrites dans ce style qui vibre et vit à chaque ligne et que je parviens à entonner facilement… Et aussi le Magellan de Stefan Zweig toujours, que François Busnel a fièrement brandi dans son émission La Grande Librairie.

Pourquoi traduis-tu ?

Parce que cela me rend heureuse, me comble. Parce que c’est un acte créatif qui me permet de jouer avec ma langue maternelle, de la faire se contorsionner pour lui extirper des choses qu’elle n’aurait pas dites spontanément ; c’est un jeu qui maintient l’esprit curieux, ouvert, tolérant, et à part l’amour, qu’est-ce qui peut rendre heureux si ce n’est la créativité, lexicale, musicale, rythmique, et in fine… vitale ?

Xavier LUFFIN

Traducteur littéraire de l’arabe, professeur et doyen de la faculté LTC (ULB) 

Par quels chemins es-tu arrivée à la traduction littéraire ?

Par amour de la littérature, mais surtout par désir de faire connaître l’Autre, de ne pas garder pour moi les « bijoux » dont la lecture m’a procuré du plaisir. C’est en lisant « Saison de la Migration vers le Nord » de Tayyib Salih qu’est née mon envie de traduire, mais le livre avait déjà été traduit deux fois.

Le travail d’un.e traducteur/trice a nourri-t-il ta façon de traduire ? À travers laquelle de ses traductions ?

Pour la littérature moderne, les traductions de Camilleri par Serge Quadruppani m’ont fait réfléchir sur la question des niveaux de langue qui me taraude. Celles de la poésie classique par Pierre Larcher aussi m’ont fourni des pistes intéressantes.

Aimes-tu traduire un genre littéraire en particulier ?

J’aime surtout traduire la fiction : roman et nouvelle (très présente dans la littérature arabe). J’aime aussi traduire la poésie arabe ancienne, et les récits de voyage. Traduire la poésie moderne m’attire moins, même si je l’apprécie.

Une de tes traductions dont tu es le plus satisfait ?

Question difficile. « Le Messie du Darfour », du Soudanais Abdelaziz Baraka Sakin, et « Shlomo le Kurde » de l’Israélien Samir Naqqash. Quel plaisir de les traduire !

Pourquoi traduis-tu ?

Je suis fasciné par l’étendue de la littérature arabe – un véritable océan – accessible en langues européennes de manière très inégale. La littérature classique est si vaste que maints poèmes ou textes n’ont pas été traduits, ou mériteraient de l’être à nouveau : l’épopée de Sayf, les poètes-brigands, ‘Antara bin Shaddad, etc. Pour l’époque moderne, il y a de grands absents. Que sait-on de la littérature mauritanienne, koweïtienne ou yéménite ? Qui connaît « le groupe de Kirkouk » ? Les écrivains érythréens arabophones ? La Nubie des nouvelles de Yahya Mukhtar ? Il reste tant d’écrivains à faire découvrir !

Danielle LOSMAN

Traductrice littéraire du néerlandais

Par quels chemins es-tu arrivée à la traduction littéraire ?

Je viens d’une famille gantoise francophone mais où l’on parlait beaucoup le néerlandais et aussi l’anglais et le russe. J’ai très tôt commencé à traduire vers le français des textes, des chansons, etc…pour le plaisir. Au Lycée, le cas échéant, je traduisais les textes de théâtre pour les spectacles de fin d’année, etc…

Le travail d’un.e traducteur/trice a nourri-t-il ta façon de traduire ? À travers laquelle de ses traductions ?

Non, mais les cours de gens comme Philippe Noble et Alain Van Crugten suivis au CETL m’ont été fort utiles

Aimes-tu traduire un genre littéraire en particulier ?

Uniquement du littéraire, romans, théâtre, poésie, de plus en plus la poésie

Une de tes traductions dont tu es la plus satisfaite ?

« Le Pique-assiette » de Nescio (De Uitvreter)  paru chez Gallimard en 2005, une œuvre réputée intraduisible !

Pourquoi traduis-tu ?

Pour le plaisir, et aussi pour faire connaître les auteurs flamands, trop mal connus dans notre petit pays. La Flandre compte un grand nombre d’excellents poètes. J’ai eu la chance de participer assez souvent à des publications bilingues NL-FR, la meilleure façon de « passer » la voix des poètes.

Pierre FURLAN  

Traducteur littéraire de l’anglais |Auteur

Par quels chemins es-tu arrivée à la traduction littéraire ?

J’ai dû pratiquer l’anglais assez tôt, en plus du français. Dès l’âge de quatorze ans, je vivais en Californie, dans la péninsule de San Francisco. Et puis mes études de littérature comparée, à Berkeley et à Paris, ont renforcé mon goût des langues. Mais le passage à la traduction littéraire pour l’édition résulte de ma rencontre avec l’œuvre du poète germanophone Erich Fried.

Le travail d’un.e traducteur/trice a nourri-t-il ta façon de traduire ? À travers laquelle de ses traductions ?

Je ne crois pas que le travail d’un autre traducteur ait réellement influencé le mien. Mais Erich Fried, en plus d’être poète, a été un grand traducteur de Shakespeare, et j’étais ébloui par sa façon de lire une page du texte anglais et de la dicter aussitôt en vers allemands ! Une prouesse dont je serais incapable, mais qui montre à quel point on peut intérioriser un texte pour le rendre dans une autre langue.

Aimes-tu traduire un genre littéraire en particulier ?

J’ai surtout traduit du roman. Je redoute la poésie qui demande quasiment une recréation pour être traduite avec fidélité.

Une de tes traductions dont tu es le plus satisfait ?

Je citerai Le Pouvoir du chien, de Thomas Savage. C’est un des meilleurs romans américains de la deuxième moitié du 20e siècle. Il m’a permis d’échanger avec Savage, alors en maison de retraite, des lettres très éclairantes, parfois personnelles. Je pourrais aussi parler d’American Darling, de Russell Banks, que je sentais couler si bien que j’étais emporté par la vitesse de mes doigts sur le clavier.

Pourquoi traduis-tu ?

Pour diverses raisons. La plus noble, c’est mon envie de voir en français des textes qui n’auraient pas pu être spontanément écrits dans cette langue – parce que chaque langue est une façon d’appréhender le monde.

Françoise ANTOINE

Traductrice littéraire du néerlandais, de l’italien.

Par quels chemins es-tu arrivée à la traduction littéraire ?

Par des chemins détournés, semés de quelques embûches et surtout d’occasions providentielles. Économiste de formation, j’ai exercé longtemps comme journaliste économique et j’ai découvert ce métier sur le tard. Prendre conscience qu’il existait des gens dont la profession était de traduire des romans fut une révélation. Je me suis formée au CETL à Bruxelles, école fondée par Françoise Wuilmart, et à la Fabrique des Traducteurs à Arles. Les traducteurs professionnels qui y enseignaient leur savoir et leur expérience m’ont mis le pied à l’étrier.

Le travail d’un.e traducteur/trice a nourri-t-il ta façon de traduire ? À travers laquelle de ses traductions ?

Je citerai les deux traducteurs grâce auxquels j’ai débuté : Vincent Raynaud, pour sa rigueur, sa simplicité, son absence d’effets de manche qui apaise, et ses traductions de Giorgio Vasta, Il tempo materiale et Spaesamento, et Dominique Vittoz, pour sa créativité et sa géniale inventivité, notamment dans ses traductions des romans policiers d’Andrea Camilleri.

Aimes-tu traduire un genre littéraire en particulier ?

J’aime les romans de manière générale : les histoires de vie, les intrigues psychologiques, historiques, loufoques, rocambolesques ou intimistes…

Une de tes traductions dont tu es la plus satisfaite ?

C’est difficile de se dire satisfaite d’une traduction. J’étais néanmoins très fière de la parution chez Verdier de ma première traduction, La contagion, de Walter Siti, qui m’avait demandé de trouver des solutions en français pour rendre la couleur et la drôlerie du romanesco, le dialecte de Rome, une ville où j’ai vécu quelques années.

Pourquoi traduis-tu ?

Parce que rien ne me met plus en joie que de travailler avec des mots et des sentiments, de tâcher de trouver dans ma langue les mots justes pour traduire des sentiments souvent universels… ou, à l’inverse, pour faire découvrir les mœurs et modes de pensée particuliers d’autres cultures et héritages.

Pierre–Marie FINKELSTEIN

Traducteur littéraire du néerlandais, de l’afrikaans

Par quels chemins es-tu arrivée à la traduction littéraire ?

Pendant mes études, en Afrique du Sud, je m’étais entraîné à traduire un recueil de nouvelles de Jan Rabie mais cette tentative est restée sans suite. Bien des années plus tard, à Bruxelles, je me suis inscrit en 2001 au CETL avec « néerlandais-français » comme combinaison linguistique.

Le travail d’un.e traducteur/trice a nourri-t-il ta façon de traduire ? À travers laquelle de ses traductions ?

Étrangement, dans cette question, les mots « travail d’un traducteur/d’une traductrice », davantage qu’à un livre précis, me font penser à certains ateliers que j’ai suivis au CETL. En l’occurrence, aux séances animées par Frans De Haes, Mireille Cohendy et Alain Van Crugten, et aux cours de Thilde Barboni sur « Psychologie et traduction » dans lesquels elle expliquait, entre autres choses, pourquoi « tout le monde ne peut pas tout traduire ». Ces deux ans de formation ont véritablement nourri ma façon de traduire.

Aimes-tu traduire un genre littéraire en particulier ?

Je traduis des romans, de la poésie et des essais. Ce qui me motive, plus que le genre littéraire, c’est l’envie de faire connaître un.e auteur.e, un texte. La curiosité, l’intérêt, l’empathie que j’éprouve.
Une de tes traductions dont tu es le plus satisfait ?

«  Satisfait » ? Est-on jamais « satisfait » d’une traduction que l’on a faite ? Je ne sais pas. Mais le plus grand défi pour moi jusqu’ici a été Agaat, roman de Marlene van Niekerk paru chez Gallimard en 2014 : le volume (plus d’un million de signes), la multiplicité des registres de langue, des descriptions faisant appel à un vocabulaire parfois très technique… Et aussi les poèmes de Nathan Trantraal, écrits en kaaps (une variété d’afrikaans qui diffère de la langue standard) et qui décrivent la vie de millions de Sud-Africains dans les townships. 

Pourquoi traduis-tu ?

Par amour des langues, et pour faire connaître en français des auteur.e.s que j’ai aimé lire.

Noëlle MICHEL

Traductrice littéraire du néerlandais et écrivaine.

Par quels chemins es-tu arrivée à la traduction littéraire ?
D’origine française, je me suis installée à Gand après mes études. Je ne parlais pas un mot de néerlandais, j’ai appris en immersion. Ingénieure de formation, j’ai travaillé dix ans dans le traitement d’eaux usées. Ma passion pour les langues m’a poussée à devenir traductrice technique indépendante. En 2016, je me suis inscrite à un atelier de traduction littéraire : ce fut un véritable coup de foudre et depuis, je traduis surtout des livres.
Le travail d’un.e traducteur/trice a nourri-t-il ta façon de traduire ? À travers laquelle de ses traductions ?
J’ai appris la traduction littéraire grâce à des ateliers animés par de grands traducteurs : M. Cohendy, P. Noble, I. Rosselin ou encore D. Cunin. Leurs conseils et regards bienveillants ont nourri ma pratique.
Aimes-tu traduire un genre littéraire en particulier ?
Dès mes premiers pas en traduction littéraire, je rêvais de traduire des romans. J’écris moi-même de la fiction et trouve fascinant de plonger de façon intime et intense dans l’univers mental d’un autre auteur. Mais j’aime les autres genres aussi : la non-fiction pour ses réflexions, la littérature jeunesse pour sa fraîcheur, la poésie pour ses casse-tête qui me forcent à me dépasser.
Une de tes traductions dont tu es la plus satisfaite ?
J’ai éprouvé énormément de plaisir et de satisfaction à traduire Le plus beau livre des couleurs de Tom Schamp, un magnifique imagier qui regorge de jeux de mots. Comme dans l’écriture à contrainte, il fallait rester concis et trouver des solutions, des jeux de mots créatifs qui cadrent avec les illustrations. Un sacré défi, qu’E. Sandron, grande traductrice de littérature jeunesse, m’a aidée à relever (tutorat).
Pourquoi traduis-tu ?
Par passion. Cet acte difficile, créatif et ludique m’enrichit intellectuellement et me remplit de bonheur !

Laurent BAYER

Traducteur free-lance NL-FR (romans graphiques/bédés, juridique et rédactionnel)
Par quels chemins es-tu arrivée à la traduction littéraire ?


Par hasard, comme bon nombre de collègues! Une association cherchait à faire traduire une bédé sur la vie de son quartier. La mission m’a été proposée par le service d’interprétariat social où je travaillais comme bénévole. Un des jeunes auteurs – c’était un ouvrage collectif – m’a ensuite recontacté pour me faire traduire quelques planches qu’il voulait présenter au festival d’Angoulême. Il a ainsi pu trouver un éditeur. Pour moi, c’était parti. De recommandation en recommandation, j’en suis arrivé à travailler pour plusieurs maisons d’éditions belges et françaises.
Le travail d’un.e traducteur/trice a nourri-t-il ta façon de traduire ? À travers laquelle de ses traductions ?
Non. Tout au plus ai-je un jour étudié, par curiosité, la traduction d’un collègue car c’était la seule œuvre d’un auteur que je n’avais pas traduite moi-même.
Aimes-tu traduire un genre littéraire en particulier ?
Je ne traduis que des romans graphiques et des bédés, principalement du néerlandais. Contrairement aux romans, il n’y a pas l’inconvénient de la longueur, mais il faut tenir compte d’une contrainte: l’espace dans les bulles est limité.
Une de tes traductions dont tu es le plus satisfait?
Passi Messa! de Joost Swarte. Un défi: la notoriété de l’auteur, celle de l’éditeur (Dargaud), le fait qu’il s’agissait d’une retraduction, le délai assez serré, l’humour absurde… Heureusement, mes efforts ont été récompensés par un article très élogieux sur le site Diacritik. Pour une fois, le traducteur était évoqué dans le texte. Le critique avait même été jusqu’à comparer les deux versions! Je pourrais aussi citer Bouvaert, où j’ai dû traduire cinq pleines pages en vers.
Pourquoi traduis-tu ?
Parce que c’est quelque chose que je sais et aime faire.

Anne COHEN BEUCHER

Traductrice littéraire de l’anglais et de l’espagnol pour la jeunesse

Par quels chemins es-tu arrivée à la traduction littéraire ?

Après de longs détours… J’ai commencé à traduire fin 2012, à l’issue d’une reconversion de 5 ans, une fois obtenu le Master de traduction de l’ULB. Mais c’était quelque chose qui me travaillait depuis très longtemps. Depuis que j’avais découvert Luis Sepúlveda et son Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler que je rêvais en secret de retraduire pour mes enfants…

Le travail d’un.e traducteur/trice a nourri-t-il ta façon de traduire ? À travers laquelle de ses traductions ?

Plusieurs, je dirais ! Il y a Jean-François Ménard et sa traduction du Bon Gros Géant de R. Dahl, Rosemarie Vassallo pour celles des Orphelins Baudelaire de L.Snicket et Emmanuèle Sandron pour sa retraduction d’Alice au pays des merveilles de L.Caroll. 

Aimes-tu traduire un genre littéraire en particulier ?

Si vous n’aviez pas déjà compris : la littérature de jeunesse sous toutes ses formes !

Une de tes traductions dont tu es la plus satisfaite ?

Pas facile comme question ! Peut-on vraiment être satisfait d’une traduction ? On a souvent beaucoup de mal à s’arrêter, et envie de reprendre cent fois sur le métier, comme dirait une amie traductrice.

Mais disons que j’ai un rapport d’affection particulier avec ma première traduction, Cette fille est différente de JJ Johnson parue chez Alice jeunesse. Et sinon, je dirais que la traduction de Un son a disparu de R.Muñoz Avía, hommage à G.Perec (écrit en partie sans la lettre A dans la VO et donc sans E dans la VF) était assez compliquée. Avoir relevé ce défi m’a apporté une forme de satisfaction, temporaire en tout cas 😉 !

Pourquoi traduis-tu ?

Pour pouvoir transmettre de belles histoires, ce que j’espère pouvoir faire encore très longtemps !

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